XI
STRATÉGIE ET MÉCHANCETÉ

Bolitho se hâtait de nouer sa cravate lorsque Tyrrell passa la tête dans la claire-voie de sa chambre.

— La Bacchante vient d’envoyer un signal, monsieur : « Tous les capitaines convoqués à bord ! »

— J’arrive.

Il enfila sa veste à la volée et jeta un rapide coup d’œil pour vérifier qu’il n’avait rien oublié. Même s’il ne voyait pas très souvent Colquhoun, il avait appris qu’il valait mieux ne pas commettre d’impair.

Le canot passait par-dessus le pavois lorsqu’il arriva sur le pont. Par le travers, il vit que celui du Faon était déjà à l’eau et que Maulby descendait à bord avec son agilité habituelle.

C’était le début de l’après-midi et le pont le brûlait à travers les semelles de ses souliers. Toute la nuit, avec le Faon en formation aussi serrée que le permettait leur sécurité mutuelle, ils avaient fait route au sud, laissant à dix milles sur bâbord la barrière de bancs et de récifs épars. Il leur avait cependant fallu plus longtemps que prévu pour rallier la Bacchante de Colquhoun, car le vent était tombé dès que la vigie avait annoncé ses huniers. Plantés là dans un filet d’air misérable, ils avaient dû endurer un soleil de plomb.

En attendant que l’armement eût rejoint le canot, il se tourna de l’autre bord pour observer la ligne déformée pourpre et bleu qu’il savait être l’extrémité occidentale de Grand Bahama. Colquhoun ne prenait pas de risques : il se tenait loin de la côte, que ce fût pour se donner de l’eau ou pour cacher ses intentions à l’ennemi.

— Paré, monsieur.

Il descendit à la coupée et ordonna à Tyrrell :

— Faites bonne veille, si jamais une embarcation venait rôder autour de nous, et envoyez une embarcation si elle s’approche de trop près. N’attendez pas mes ordres.

Il descendit dans le canot et alla s’asseoir sur le banc brûlant tandis que Stockdale prenait la barre pour rejoindre la frégate. La Bacchante était en panne, voiles pendantes, et roulait lourdement dans la houle en montrant son doublage de cuivre. C’était un bien beau bâtiment, joliment taillé et dessiné par un architecte de talent. Avec ses trente-six canons et sa capacité à tenir la mer des mois durant, elle représentait le rêve même de tout jeune capitaine. Tout un tableau qui ne cadrait pas vraiment avec Colquhoun.

Stockdale marmonnait dans sa barbe et Bolitho devina qu’il injuriait son compère du Faon, qui réussissait toujours à mener son canot un brin plus vite. Le canot arrondit avec grâce, avirons rangés dans un bel ensemble, et le brigadier crocha dans les cadènes de la frégate. L’ombre de la Bacchante leur accorda enfin un abri bienvenu.

Bolitho escalada la muraille, rajusta sa coiffure et essaya de se donner bonne contenance tandis que les trilles des sifflets rendaient les honneurs réglementaires. Claquements des mousquets, la garde de fusiliers se mit au présentez armes.

Le second, homme assez lugubre et qui semblait épuisé, lui fit un signe de tête en guise de bienvenue.

— Le capitaine est à l’arrière, monsieur. Il est occupé à préparer son plan, sans quoi…

Maulby quitta l’ombre du passavant et lui prit le bras :

— Sans quoi, mon ami, il nous aurait fait la grâce de nous accueillir lui-même à la coupée, hein ?

Il éclata de rire devant l’embarras du second.

— Et quant à vous, monsieur, vous méritez une récompense éternelle pour le purgatoire que vous subissez à bord de ce bâtiment.

Ils se dirigèrent vers l’arrière en baissant instinctivement la tête alors qu’il y avait toute la hauteur sous barrots voulue.

Un fusilier claqua des talons et leur ouvrit la porte sans ciller un seul instant ni broncher tout le temps que mirent les deux officiers à passer l’hiloire.

Colquhoun se tenait près d’une fenêtre de poupe et consultait sa montre avec une impatience évidente.

— Vous voilà donc arrivés, messieurs – il alla s’asseoir à son bureau. Enfin !

Bolitho se détendit un peu : belle humeur.

— Nous avons eu vent contraire pendant la nuit, monsieur.

— Et, ajouta tranquillement Maulby, je pensais vous trouver plus près de la côte, monsieur. Nous sommes un peu, euh, comment dire, sur la touche, pour ce qui nous concerne – il jeta un coup d’œil à son propre bâtiment qui dansait à une encablure par le travers de la Bacchante. Mais je suis sûr, monsieur, que vous avez d’excellentes raisons d’agir ainsi.

Colquhoun le regardait fixement, comme pour essayer de percer ce qu’il voulait vraiment dire. Heureusement, il sembla ne pas soupçonner un seul instant que Maulby se moquait.

— Regardez donc ma carte ! leur cria-t-il.

Ils s’approchèrent et il tapa sur le document avec ses pointes sèches.

— Le français est ici. J’ai envoyé un canot à voile faire une reconnaissance avant l’aube – il releva la tête, triomphant. Voilà qui met fin à toutes les spéculations.

Bolitho se pencha pour y regarder de plus près. Quel endroit fantastique ! Un chapelet de récifs et de bancs courait vers le nord sur environ quarante milles, depuis l’extrémité occidentale de l’île principale, avant de rejoindre le célèbre haut-fond de Matanilla. La chaîne tournait ensuite vers l’est pour enfermer comme dans un piège une grande étendue d’eau comme sous le nom de Petit Banc des Bahamas. À certains endroits, il n’y avait que quelques pieds de profondeur, les sondes étaient rares et espacées.

À en croire les indications portées par Colquhoun, le français était passé à travers un récif, peut-être autour, pour aller s’échouer de l’autre côté de l’île. L’endroit était parfait pour qui voulait éviter de risquer une escarmouche. En effet, de ce côté-là, le chenal était entièrement dégagé et offrait plus de deux cents brasses. Toute tentative d’attaque par surprise était rendue impossible par le tombant abrupt de l’île. Et de l’autre côté, sur le Petit Banc des Bahamas, l’eau était peu profonde par fond de sable, un endroit idéal pour qui voulait abattre son bâtiment en carène et effectuer des réparations de fortune.

— Votre chaloupe s’est-elle fait voir, monsieur ? demanda Maulby sans lever les yeux.

— Bien sûr que non !

Colquhoun semblait s’indigner qu’on pût seulement suggérer cette possibilité.

— Mon second avait pris le commandement, et il sait ce qui lui serait arrivé s’il avait fait preuve d’une telle incompétence – il se calma un peu, mais à grand-peine. Il a aperçu de nombreuses lumières sur l’eau. La chaloupe est passée sur une vague entre deux bancs de sable et a pu observer l’ennemi à l’œuvre. C’est un gros bâtiment, sans doute une frégate de quarante-quatre canons dont ils ont débarqué une partie de l’artillerie. Ils ont dû toucher et subir quelques avaries après être entrés dans les îles.

Bolitho le voyait de profil. Colquhoun était tout excité, voilà qui était sûr, malgré ses efforts pour dissimuler ce qu’il éprouvait. Il régnait dans la chambre une forte odeur de cognac et il devina qu’il avait déjà fêté seul une victoire tenue pour acquise.

— Quelles sont vos intentions, monsieur ? lui demanda-t-il tranquillement.

Colquhoun se tourna vers lui, l’œil soupçonneux.

— Je fais l’hypothèse que l’ennemi est sur le point d’achever ses réparations. Il a donc deux possibilités : poursuivre sa traversée ou retourner à la Martinique s’il est trop gravement endommagé et exige des réparations plus importantes. Dans les deux cas, il nous faut agir vite et nous épargner une longue poursuite.

— Je suggérerais volontiers une action menée par des embarcations, monsieur. Nous poumons traverser la barrière suivant deux axes et lui tomber dessus avant qu’il ait compris ce qui lui arrive. En réunissant tous les moyens en hommes et en canots des trois bâtiments, nous pourrions anéantir ses défenses en profitant de l’obscurité.

— Et vous assureriez bien entendu le commandement de l’opération ? fit Colquhoun d’une voix mielleuse.

Bolitho devint rouge de colère.

— Votre frégate est trop grosse, une fois et demie trop grosse pour pénétrer dans ces eaux resserrées, monsieur ! Si le français s’enfuit, ou s’il décide d’affronter le combat, vous devrez vous rapprocher sans délai.

— Calmez-vous, Bolitho – Colquhoun souriait doucement. Vous prenez tout ce que je dis au pied de la lettre. Voilà une attitude qui trahit un sentiment de culpabilité plus qu’une véritable conviction.

Et il se tourna brusquement avant que Bolitho ait eu le temps de répliquer.

— Vous, Maulby, vous franchirez la barrière avec le Faon pendant la nuit, à la rame s’il le faut, mais je veux que vous soyez à poste demain à l’aube.

Il se pencha sur la carte.

— Si l’ennemi est suffisamment en état pour faire voile, il essaiera sûrement de prendre l’un des trois chenaux. Au nord, le passage pourrait être gêné par le vent ou par la marée. Le chenal sud me paraît plus probable, auquel cas la Bacchante sera bien placée pour le cueillir dès qu’il aura tourné la pointe. Mais s’il est toujours abattu en carène, vous pourrez lui faire son affaire sur place. Vous tirer dessus ne lui servira de rien. Quelques trous de plus suffiront à l’immobiliser pour de bon, ou assez longtemps en tout cas pour que nous puissions lui appliquer un autre traitement – il pointa l’index. Mais je les connais bien, ces Grenouilles. Ils ne se battront pas si leurs chances sont aussi minces.

Maulby se redressa, regarda Bolitho et haussa les épaules.

Bolitho ne disait rien, car il savait que Colquhoun s’attendait à l’entendre protester. LHirondelle était plus adaptée à la mission que venait de fixer Colquhoun : son armement était plus imposant, et ses trente-deux-livres largement plus puissants et précis que les neuf-livres du Faon. Il savait pourtant que la moindre remarque de sa part confirmerait Colquhoun dans l’idée qu’il courait après la gloire et la réputation, ou qu’il se sentait plus compétent que Maulby pour remplir la mission.

— Comptez-vous envoyer un détachement à terre, monsieur ? demanda posément Maulby.

Colquhoun évitait de les regarder.

— Dieu du ciel ! Est-ce là le genre de combat dont j’ai lu les récits dans la Gazette ? S’il s’agit de cela, je commence à me demander s’ils ont bien eu lieu !

— C’était pourtant une suggestion pertinente, monsieur, répliqua Bolitho. Je préfère personnellement le combat de nuit, mais, en plein jour, un détachement de marins, renforcés par vos fusiliers, serait en mesure de…

Il ne put en dire davantage, Colquhoun s’était redressé comme un ressort.

— Ça suffit comme ça. Mon plan ne laisse pas de place à toutes ces idées fumeuses de gens qui iraient se traîner dans les cailloux comme des lézards ! Ce français est cuit, et j’ai la ferme intention de le ramener intact au port pour récupérer sa cargaison et l’examiner de plus près !

Il s’éloigna de la table et contempla le verre à moitié vide posé sur son bureau. Quand il tendit la main pour le prendre, Bolitho s’aperçut qu’elle tremblait. Colère, énervement ? Sa voix était mal assurée lorsqu’il reprit :

— Quant à vous, Bolitho, vous vous rapprocherez dans le nord. Restez hors de vue jusqu’à l’heure de l’attaque. À ce moment, vous reviendrez au contact avec moi pour prendre vos ordres – il serrait la main autour de son verre comme un étau. C’est tout. Mon secrétaire va vous remettre avant votre départ vos ordres écrits pour l’attaque.

Ils quittèrent la chambre et se dirigèrent en silence vers la dunette.

C’est Maulby qui commença :

— C’était à vous d’y aller, Dick. Je suis d’accord avec votre proposition de bloquer l’ennemi, mais c’était votre droit d’y aller si Colquhoun avait l’intention de rester au large.

— Je vous souhaite de réussir, fit Bolitho en lui mettant la main sur l’épaule, mais vous le savez déjà. Vous méritez amplement d’être promu, et j’espère que vous le serez.

Maulby fit une petite grimace :

— Je ne nie pas que je compte profiter de cette occasion, mais j’aurais préféré le faire avec moins d’amertume – il jeta un coup d’œil derrière lui. Ce type me tuera avec ses humeurs.

Bolitho se mordait la lèvre, incapable de trouver le mot juste.

— Ecoutez, John, soyez prudent. Je sais que Colquhoun veut désespérément obtenir cette victoire, mais je ne partage absolument pas son mépris des Français. Ce sont des gens qui savent se battre, ils sont courageux et ils ne vont pas céder comme ça, même devant la gueule des canons.

Maulby se contenta d’acquiescer, le regard sombre.

— Ne craignez rien. Si ce français décide de se mesurer au canon avec moi, je me retirerai pour attendre du renfort.

Bolitho dut se forcer à sourire. Maulby s’obligeait à mentir pour se rassurer. À sa place, il aurait menti tout autant. Avant et après le combat, on pouvait discuter, protester, faire des contre-propositions. Mais, une fois les choses lancées, il n’y avait plus qu’à se battre, à résister au feu de l’ennemi jusqu’à le forcer à l’abandon… à moins que la marée ne fît des siennes.

— Embarcations le long du bord !

Le second les accueillit avec un sourire las :

— C’est terminé, monsieur ?

Maulby prit les ordres qu’il lui tendait :

— Oui, c’est terminé.

Le second soupira :

— J’ai dessiné un petit croquis qui pourrait vous aider, monsieur. La marée monte vite, dans le coin, et les vagues sont mauvaises. Mais si le français a réussi à entrer, ce sera encore moins difficile pour vous.

Les deux canots les attendaient ; Bolitho dit brusquement :

— Je vais faire voile directement, puisque je dois avoir rallié mon poste à l’aube – il lui tendit la main. J’aurais aimé y aller avec vous.

Maulby lui serra vigoureusement la main :

— Moi aussi – il lui sourit. Mais au moins, cela vous épargnera le spectacle du Faon en train de faire la gloire et la fortune de Colquhoun d’un seul coup d’un seul.

Stockdale se leva quand Bolitho descendit à bord. Il avait le regard inquiet.

Lorsqu’ils eurent poussé, il lui demanda :

— Alors, on va pas aller se battre, monsieur ?

Bolitho soupira : les ordres secrets, les plans de bataille, tout cela ne disait rien à l’équipage. Stockdale n’avait pas quitté son canot, mais il était déjà au courant, et avec lui le moindre mathurin de la flottille.

— Non Stockdale, cette fois, ce n’est pas pour nous.

Il avait oublié l’humiliation que venait de lui infliger Colquhoun et sa tentative stupide de le mettre en porte-à-faux avec Maulby. Il pensait à la mission du Faon, aux chances qu’avait Maulby de réussir sans être obligé de faire durer le combat, sous peine de se faire chanter pouilles par Colquhoun pour avoir traîné.

— C’est pas juste, monsieur.

Stockdale marmonnait, installé à la barre.

Bolitho lui jeta un regard glacé :

— Occupez-vous donc de vos oignons ! J’ai assez entendu parler de stratégie pour aujourd’hui !

Stockdale regardait les épaules carrées de son commandant, ses doigts crispés sur la poignée de son sabre, les jointures blanches. C’est pas dans tes habitudes de me traiter comme ça, mon p’tit gars, c’est pas juste, et en plus, tu le sais parfaitement !

Mais il rentra toutes ses réflexions, reprit la barre et mit le cap sur l’Hirondelle. Lorsque le brigadier eut croché, Bolitho se retourna brusquement et lui dit :

— Mais je vous remercie tout de même de vous soucier de moi.

Stockdale se leva et ôta sa coiffure tandis que Bolitho montait la coupée.

— Merci, m’sieur, fit-il dans son dos avec un large sourire.

Tyrrell n’avait guère envie de garder sa langue dans sa poche, lui non plus :

— C’est tout de même un choix bien étrange. Le commandant Maulby est certes un bon officier, mais…

Bolitho bondit :

— Préparez-vous à faire route, établissez les cacatois dès que nous aurons de l’erre, je veux profiter au maximum du vent, tant qu’il y en a ! – il se fit plus dur : Faites seulement ce que je vous demande, monsieur Tyrrell, et ne vous souciez pas du reste !

Sur ce, il se précipita en bas pour se débarrasser de sa lourde veste.

Buckle traversa le pont pour s’approcher du second :

— Qu’en pensez-vous, monsieur Tyrrell ?

— Foutu Colquhoun, gronda Tyrrell ! J’n’ai jamais réussi à encaisser ce type ! C’est comme ce Ransome de malheur, il est possédé du diable !

Buckle hocha la tête :

— Le capitaine se fait du souci, ça c’est sûr.

— Non, pas pour lui en tout cas – Tyrrell surveillait les hommes occupés à hisser le canot par-dessus le pavois. C’est tout aussi certain.

Bolitho les interrompit brutalement :

— Lorsque vous en aurez terminé, messieurs, je vous serai reconnaissant d’exécuter mes ordres !

Buckle regarda Tyrrell en coin et lui fit un petit sourire penaud.

— Eh ben, j’aime mieux ça ! Not’ Dick est pas du genre à ruminer trop longtemps !

Une heure plus tard, l’Hirondelle progressait lentement vers le noroît, toute la toile dessus, et ses deux conserves disparurent derrière elle.

Le vent forcit très progressivement et, lorsque les premières étoiles apparurent dans la mâture, ils avaient parcouru plus de cinquante milles. Ils refaisaient en sens inverse le chemin qu’ils venaient de parcourir la nuit précédente pour retrouver Colquhoun, et avec la même hâte.

Mais personne n’y pouvait rien. Quelques hommes étaient même soulagés de ne pas devoir, comme le Faon, tenter un passage périlleux entre les récifs.

Sur la dunette, le lieutenant Graves, appuyé contre la lisse, regardait, l’œil vague, les voiles qui battaient. Il entendait sans y faire attention le craquement de la roue, quelques mots échangés entre les hommes de quart. Il pensait à sa maison de Chatham et aux nouvelles que contenait l’une des rares lettres arrivées d’Angleterre. Graves n’appartenait pas à une famille de marins, son père avait tenu une épicerie, petite mais florissante, où il était né et dans laquelle il avait grandi avec sa sœur. Sa mère, qui avait été souffreteuse toute sa vie, était morte un an avant que l’Hirondelle quittât la Tamise et son père s’était apparemment mis à boire. Les affaires avaient périclité, sa sœur, au fond du désespoir, avait fini par épouser un lieutenant sans le sou de la garnison locale.

Elle lui avait écrit pour lui demander de l’argent, autant pour dépanner le ménage que pour épargner à leur père la prison pour dettes. Graves lui avait envoyé tout ce qu’il possédait, ce qui ne faisait guère. S’il avait une part de prise, cela l’aiderait considérablement, mais il ne voulait rien envoyer de plus sur cet argent chèrement gagné tant qu’il n’aurait pas reçu d’autres nouvelles. Ah, si seulement il avait été plus familier des us et coutumes de la marine !… Comme le commandant, qui appartenait à une longue lignée de marins, ce qui le mettait très nettement au-dessus de gens comme lui. Ou même comme Tyrrell, qui semblait totalement indifférent à toute forme d’autorité, alors que cela était bien plus difficile dans sa situation. Il se souvenait très bien du jour où la sœur de Tyrrell était montée à bord. Cela se passait à Kingston, dans l’île de la Jamaïque, où elle vivait alors chez des amis, en attendant, comme elle disait, que les « troubles » eussent cessé en Amérique. C’était une jeune fille rieuse, pleine de charme, bien différente de son frère, si réservé. Elle avait fait à Graves l’effet d’un ange, elle était tout ce dont il avait toujours rêvé. Elle appartenait à une famille riche, bien établie, et l’épouser lui eût permis de trouver une situation avantageuse dans le monde au lieu de végéter. Tyrrell avait percé ses intentions, mais ne les avait pas plus encouragées qu’il ne s’y était opposé ouvertement. Cet imbécile avait fini par avoir une sérieuse algarade avec le capitaine Ransome, à propos d’un homme à punir. Graves ne se souvenait plus si le motif était justifié ou pas et, à vrai dire, il s’en moquait. Ce qu’il y avait de sûr, c’est que Ransome avait usé de tout son charme, qui était grand, pour séduire la fille, lui ôtant ainsi toutes ses chances et lui attirant l’inimitié du frère, Mais depuis lors, Graves en voulait à Tyrrell, le haïssait même, quoi qu’il pût penser d’elle et de l’état dans lequel elle était lorsque Ransome avait fini par la débarquer à Antigua.

Il serrait la lisse à s’en faire mal. Où était-elle à présent ? Quelqu’un lui avait dit qu’elle était rentrée en Amérique, d’autres prétendaient qu’elle avait pris passage à bord d’un bâtiment de la Compagnie des Indes en relâche qui se rendait à Trinidad. Se souvenait-elle seulement de lui ? Il se retourna, furieux contre lui-même d’oser encore espérer, au bout de si longtemps. Et pourquoi manquait-il tant de confiance, au moment où il en avait le plus besoin ? Il était peut-être resté trop longtemps dans cette épicerie de malheur, à entendre son père vanter la qualité de ses produits à des clients qui mettaient plus de temps à régler leurs propres dettes qu’il n’arrivait à rembourser les siennes.

Le souci qu’il se faisait pour sa sœur, l’incertitude où il était sur son propre compte, tout cela les avait lentement éloignés l’un de l’autre. Il l’avait très bien ressenti après leur combat contre le Bonaventure, bien qu’il fût resté à bord avec les passagers. Et si le capitaine avait échoué, avec son plan insensé ? Aurait-il eu le courage de violer ses ordres et de faire demi-tour avec l’Hirondelle pour aller chercher Bolitho et ses hommes ? Sans Buckle et quelques autres, il en doutait fort, il n’aurait sans doute pas bougé, même en voyant les deux bâtiments enlacés sombrer dans les flammes et cette grosse colonne de fumée qui leur masquait l’horizon.

Et après, lorsqu’ils approchaient d’autres prises, quand ils se battaient au canon contre de nouveaux corsaires, il avait senti la peur l’envahir comme une maladie sournoise. Personne n’avait rien remarqué, du moins jusqu’ici. Il se secoua, traversa le pont pour essayer de se changer les idées et de se rafraîchir.

Les deux aspirants se tenaient près des filets.

— M. Graves semble soucieux, fit tranquillement Bethune.

Le nouvel embarqué, Fowler, fit semblant de n’avoir pas entendu.

— Regardez donc par ici.

Il avait un cheveu sur la langue, surtout lorsqu’il essayait de prendre l’air innocent devant ses supérieurs. Mais cette fois, le défaut était à peine remarquable.

— Je dois surveiller le nettoyage de la soute aux câbles demain.

— Je sais, répondit Bethune qui observait toujours le lieutenant, c’est ton tour.

— Eh bien, fit Fowler en montrant ses petites dents, tu le feras à ma place. Et à notre retour, je parlerai de toi à l’amiral.

Bethune se retourna, tout content :

— Tu vas lui parler de moi ?

— Peut-être.

La gratitude de Bethune avait quelque chose de pathétique.

— Oh, si seulement… – il hocha la tête d’un air décidé. Oui, je vais m’occuper de cette soute. Et si je puis faire quoi que ce soit…

L’autre le regardait froidement :

— Je te le dirai.

Tout l’équipage rêvait, espérait à sa façon. Dans sa chambre exiguë, Tyrrell, assis sur son coffre, massait sa jambe endolorie, tandis que, de l’autre côté de la cloison, Bolitho terminait la lettre commencée pour son père.

Au carré, faiblement éclairé, Dalkeith méditait devant un verre de rhum. Buckle racontait pour la centième fois l’histoire d’une femme de Bristol, ou bien d’une autre. Heyward écoutait vaguement, les yeux clos.

Tout à l’avant, au-dessus de l’étrave, les cheveux au vent et le visage arrosé d’embruns, Yule, le canonnier, était adossé contre une jambette, une bouteille entre les cuisses. Il songeait à Tilby et à toutes les belles années qu’ils avaient vécues ensemble.

Tout en bas, à fond de cale, une lanterne accrochée à son cou décharné, Lock, le commis, inspectait un tonneau de citrons. Il les scrutait un par un, comme un voleur qui contemple son butin, tout en prenant des notes dans son carnet.

Et, quant à elle, sous son vêtement de toile claire, l’Hirondelle les emportait tous, insensible à leurs sentiments, à leur tristesse ou à leurs plaisirs. Indifférente à la mer elle-même. Car elle avait besoin d’eux jusqu’au dernier. Elle semblait toute contente.

 

À peine arrivé sur la dunette, Bolitho comprit que le vent avait tourné, d’une façon qui leur était défavorable ; et il changeait rapidement. Il dormait profondément quand l’aide du pilote avait dévalé dans sa chambre pour lui annoncer que le lieutenant Heyward sollicitait son avis.

On en était à la moitié du second quart de nuit et les étoiles brillaient au-dessus des têtes de mât mais, tandis qu’il se hâtait de monter pieds nus sur le pont humide, il entendit les huniers claquer violemment dans un concert de haubans et d’enfléchures.

Buckle se tenait près de la roue et, tout comme lui, ne portait que son pantalon, indice certain, s’il était encore nécessaire, que Heyward avait attendu le dernier moment pour les envoyer quérir.

— Alors ?

Il se pencha sur la rose. Les yeux des timoniers brillaient à la faible lueur de la lampe d’habitacle.

— J’attends, monsieur Heyward.

Il n’avait guère envie d’humilier son lieutenant en public et, en d’autres circonstances, lui aurait même été reconnaissant de tenir aussi bien son équipe de quart et de ne pas montrer son manque d’assurance. Mais, en l’occurrence, dans des eaux aussi dangereuses, il importait surtout d’agir vite.

— Le vent a commencé à refuser, expliqua Heyward, un rhumb ou deux, et j’ai envoyé ma bordée border les voiles – il montra on ne sait quoi au-dessus de lui. Mais à présent, il refuse de plus en plus : j’ai bien peur qu’il n’aille jusqu’au nordet.

— Nous n’aurons jamais le temps de virer de bord à temps pour atteindre la pointe du haut-fond, monsieur, marmonna Buckle – il jeta un nouveau coup d’œil au compas. Jamais !

Bolitho se frottait le menton, le vent balayait ses épaules nues. Heyward avait été sot de laisser l’Hirondelle continuer ainsi. Il attendait peut-être que le vent changeât une nouvelle fois, comme cela était fréquent dans les parages, mais, n’importe, ils faisaient maintenant cap presque noroît. Chaque minute qui passait les entraînait un peu plus loin des hauts-fonds, il leur faudrait maintenant des heures et des heures de louvoyage pour gagner la position que leur avait assignée Colquhoun.

— Je suis désolé, monsieur, fit piteusement Heyward. Je… je pensais que j’allais pouvoir m’en tirer.

Mais Bolitho essayait de réfléchir.

— Vous ne pouvez rien faire contre le vent. Que cela vous serve de leçon : pensez à me faire prévenir dès que vous ne serez pas sûr de vous. Je ne vous en tiendrai pas rigueur – il se tourna vers Buckle : Qu’en pensez-vous ? Il ne nous reste plus que quatre heures avant l’aube.

Mais Buckle n’en démordait pas :

— C’est impossible – il poussa un soupir. J’ai bien peur que nous ne soyons obligés de rester au près serré trois heures et nous pourrions ensuite essayer de virer lof pour lof.

Bolitho se repassa mentalement la carte, il revoyait les bancs de sable tout proches, l’état de la marée.

— Rappelez l’équipage, monsieur Heyward, nous allons virer de bord immédiatement.

— Mais, monsieur ! – Buckle avait l’air anxieux. Nous n’aurons jamais le temps de reprendre le bon cap ! Si le vent se stabilise au nordet, c’est impossible !

Bolitho entendait les trilles des sifflets, les bruits de pieds dans les échelles et sur les passavants.

— J’en conviens, monsieur Buckle – il se tut comme Tyrrell émergeait de l’ombre, traînant la patte et essayant de boucler sa ceinture. J’ai l’intention de passer au milieu du banc.

Il se tourna vers Tyrrell :

— Si nous continuons comme ça, nous serons incapables de venir en renfort au jour, si le besoin s’en fait sentir. Au moins, une fois à l’intérieur, nous pourrons profiter du vent s’il devient favorable.

Graves arrivait en courant et en faisant un boucan qui leur parut énorme alors qu’ils parlaient tous à voix basse. Il avait évidemment trouvé le temps d’enfiler ses chaussures.

— Très bien, conclut Bolitho. Des hommes de sonde dans les bossoirs, et carguez donc huniers et perroquets – il parlait vite, au fur et à mesure que sa pensée se précisait : Dites au bosco de dessaisir les rames, au cas où le vent tomberait.

— Bien monsieur, répondit Tyrrell en hochant la tête. À mon avis, nous avons de bonnes chance de passer à travers, la marée est pour nous – il hésita. Mais quand elle diminuera, il se pourra bien que nous ayons du souci.

Bolitho lui sourit, en dépit de son inquiétude :

— Voilà qui s’appelle bien parler !

Des cris retentirent sur le pont principal, les officiers mariniers faisaient le compte des gabiers et des autres. Les hommes connaissaient si bien leur bâtiment qu’être obligés de travailler dans l’obscurité ne leur faisait guère de différence.

— Réduisez la toile, ordonna Bolitho à Tyrrell – il baissa la voix. Aussi vite que possible !

En quelques minutes, les cacatois furent cargués et, huniers et perroquets claquant furieusement dans le vent, l’Hirondelle se mit à bouchonner dans une houle assez désagréable.

Bolitho, accroché aux filets au vent, observait les minces rubans d’embruns que l’on distinguait maintenant au-delà du passavant. Vergues brassées serré, Buckle jouait de ses voiles et de la barre pour tenter de rester aussi près du vent que possible.

Et, pendant tout ce temps, il n’arrêtait pas de réfléchir. Une fois que son bâtiment serait près du banc, il lui resterait encore une dizaine de milles à parcourir. Il suffisait d’une mauvaise estimation de sa vitesse et de la distance, d’une erreur sur la carte pour se retrouver échoué tout de bon. Mais, au fond de lui-même, il savait que le jeu en valait la chandelle. Personne ne pourrait lui reprocher de s’en être tenu à ses ordres initiaux ni d’avoir tiré prétexte du vent pour s’éloigner de la zone, Colquhoun aurait sans doute été ravi de le savoir aussi loin que possible, pour pouvoir dénier ensuite à l’Hirondelle ne fût-ce qu’un modeste rôle de spectateur. En ne respectant pas ses ordres à la lettre, il pouvait à la rigueur subir une réprimande, mais au moins, il serait mieux placé pour porter assistance au Faon si le français décidait d’accepter le combat. Avec ce vent qui tournait au nordet, Colquhoun allait avoir du mal à rester dans son propre secteur lorsque l’heure serait venue, et ce seul fait serait dans une certaine mesure une excuse à la conduite de Bolitho.

— Parés, monsieur !

Il serra les mâchoires :

— La barre dessous !

Il se raidit en sentant la mer s’engouffrer sous la quille pleine d’herbes.

— La barre dessous, monsieur !

Il distinguait dans l’ombre les hautes voiles qui battaient furieusement, les hommes qui s’activaient aux bras pour orienter les vergues à la nouvelle amure.

— Envoyez ! cria Graves de sa grosse voix qui dominait le fracas des voiles et du pouliage.

— A border la grand-voile !

Un homme tomba, quelqu’un cria pour ramener le calme sur le pont.

Toujours accroché au filet, Bolitho suivait l’inclinaison de la coque. Le boute-hors passant le lit du vent, l’Hirondelle hésita un peu puis changea décidément d’amure.

— Aux bras !

Tyrrell se tenait penché à la lisse comme pour surveiller tout son monde, un par un.

— Tirez-moi là-dessus, les gars, plus fort !

L’Hirondelle résista un peu avant de prendre sa nouvelle allure, toutes voiles pleines, dans des gerbes d’embruns qui aspergeaient les hommes sur le pont. Bolitho dut crier pour se faire entendre :

— Serrez au plus près, monsieur Buckle !

— Bien monsieur – il était tout essoufflé. En route !

Les hommes couraient de partout, ils passèrent quelques minutes désagréables : il fallait border ici, choquer un peu là. Certains déhalaient sur les drisses, tandis que dans les bossoirs d’autres, soigneusement choisis, prenaient leurs lignes et leurs plombs, parés à sonder.

Buckle lui-même ne paraissait pas mécontent :

— En route au sudet, monsieur !

— Parfait.

Bolitho leva les yeux vers les vergues brassées à bloc. Même une frégate n’aurait pas réussi à serrer le vent d’aussi près, aucun autre bâtiment n’en était capable.

Tyrrell courut à lui, sa chemise plaquée sur le corps :

— C’est ça que vous vouliez monsieur, pas vrai ?

Il criait, mais sa voix avait du mal à couvrir le grondement de l’eau contre le bordé.

— Vous vous faisiez du souci pour le Faon ?

Son pied glissa et il poussa un juron, il se prit la jambe à deux mains.

— Doucement, Jethro. Vous avez mal ?

Le second montrait les dents.

— Dalkeith me dit qu’il pourrait rester quelques éclats dans l’os. Ces balles de pistolet se brisent en vous rentrant dedans – il se remit debout tant bien que mal et fit la grimace. Ça pourrait être pire.

Bolitho, qui regardait les gabiers redescendre le long des pataras, répondit enfin à sa question :

— Oui, je suppose que c’est ce que je voulais. Je suis incapable d’expliquer mes craintes – haussement d’épaules, puis : Donc, je n’essaie pas de les expliquer.

Mais il fallait chasser toutes ces incertitudes.

— Pour le moment, Jethro, je désire que les hommes avalent quelque chose, et faites-leur aussi donner une ration de tafia. Il n’y a pas de raison d’attendre le jour, et j’imagine qu’ils sont trop excités pour retourner dormir – il fit claquer les jointures de ses doigts. Faites allumer les feux et gardez tout le monde ici. Je ne vais pas rappeler aux postes de combat, mais je veux avoir tout le monde sur le pont pour la traversée du banc.

Tyrrell le regardait intensément :

— Et pour Heyward ? Allez-vous consigner sa conduite au journal de bord ?

Bolitho hocha négativement la tête.

— Non, il a eu une bonne leçon, et il n’y a pas eu de conséquences. Quand j’étais jeune lieutenant, je me suis endormi une fois pendant mon quart – ses dents brillaient. Je n’en suis pas fier mais, par Dieu, je n’ai jamais recommencé !

Il s’approcha du panneau de descente avant de s’arrêter :

— Je descends me mettre quelque chose sur le dos. Je ne veux pas que les hommes voient leur capitaine dans cette tenue au grand jour.

Il éclata de rire, si fort qu’un homme qui travaillait tout seul dans les hauts l’entendit.

— Je veux bien vivre comme un sauvage, mais je ne veux pas leur ressembler !

Tyrrell retourna à la lisse, sa jambe lui élançait. Il venait de découvrir un nouveau Bolitho : nu jusqu’à la taille, ses cheveux de jais plaqués sur le front, il faisait jeune, plus jeune même que Heyward. Et Tyrrell était touché par le souci qu’il montrait pour les hommes, comme il était impressionné par le sang-froid qu’il montrait à l’approche du banc.

Heyward arrivait du pont et attendit de reprendre son quart.

— Faites rompre la bordée de repos, lui dit Tyrrell, et envoyez-moi les officiers mariniers, que je leur donne mes instructions.

— Est-ce que je vais payer pour ce que j’ai fait ? demanda piteusement Heyward.

Tyrrell lui donna une grande claque sur le bras.

— Par Dieu, mon garçon, mais non ! – il éclata de rire en voyant son air étonné. Le commandant vous doit une fière chandelle ! Si vous l’aviez appelé plus tôt, il aurait été contraint de virer de bord. Votre erreur lui a permis d’imaginer une autre manœuvre.

Là-dessus, il s’éloigna en sifflotant, ses pieds nus pataugeant sur le pont trempé.

Heyward remonta la pente du pont pour aller rejoindre Buckle à la barre.

— Je n’y comprends rien.

Buckle le regardait d’un air dubitatif.

— Alors, n’essayez pas, voilà mon conseil.

Il se dirigea vers le panneau avant d’ajouter :

— Et la prochaine fois que vous aurez envie de jouer à Dieu le Père sur ce bâtiment, je vous serai reconnaissant de me le faire savoir avant.

Heyward jeta un coup d’œil au compas et rejoignit le bord au vent. Etre chef de quart, se dit-il tristement, représentait bien plus qu’être officier. Il fit la grimace en regardant la grand-voile bordée à plat. Il n’était pas passé loin de la catastrophe et, à un moment, s’était senti totalement dépassé par les événements. Il avait l’impression de se précipiter et le bâtiment avec dans une sorte de spirale incontrôlable. Aujourd’hui, il avait appris quelque chose. Si la même situation se reproduisait, il saurait dorénavant quoi faire. De cela au moins, il était parfaitement sûr.

Stockdale attendait Bolitho dans sa chambre avec une chemise. Il lui tendit une serviette et lui demanda :

— C’est vrai, ça, que vous vous êtes endormi pendant votre quart, monsieur ?

Bolitho se sécha le torse et les bras. Il avait les lèvres couvertes de sel.

— Presque.

Y avait-il moyen de garder un secret pour Stockdale ?

— Mais il faut bien enjoliver les choses de temps en temps.

Il se débarrassa de son pantalon trempé et le jeta à travers la chambre. Puis, tout nu, il entreprit de se sécher à fond. Il entendait au-dessus de lui Heyward qui arpentait le pont.

— Vous savez, continua-t-il tranquillement, j’ai connu un jour un lieutenant qui a réprimandé un homme pour avoir fait un faux rapport alors qu’il était de vigie. Après ça, ce marin avait tellement peur qu’il ne disait plus jamais rien. Un jour, il y a eu un vrai danger, et il a tenu sa langue de peur de se faire réprimander une fois de plus. Résultat, le bâtiment s’est fait drosser sur un caillou et le lieutenant a péri noyé.

— Bien fait pour lui ! commenta Stockdale.

Bolitho soupira : essayer de faire comprendre à Stockdale la moralité d’une histoire était peine perdue.

Le gros cuistot secoua vigoureusement un pantalon propre et le lui tendit. Pendant une bonne minute, il ne dit pas un mot, mais on voyait bien à son front plissé qu’il réfléchissait intensément.

— Et alors, finit-il par demander, qu’est-il arrivé à ce matelot ?

Bolitho le regarda.

— J’ai bien peur qu’il n’ait été fouetté pour négligence en service.

Le visage couturé de Stockdale s’éclaira d’un grand sourire.

— Voilà qui m’prouve au moins une chose, m’sieur, pas vrai ? C’est qu’y n’y a point d’justice pour des pauvres bougres connu nous.

Bolitho s’assit de lassitude, son pantalon à moitié enfilé. Comme d’habitude, Stockdale avait eu le dernier mot.

 

Armé pour la guerre
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